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They are stone gods
living inside the moon,
at night they drink the light
that shines from your door.

Someone must watch.

Joe Dale Tate Nevaquaya
Oklahoma 1989

 

A PROPOS DE QUELQUES PRATIQUES

L'image et l'informatique? Lorsqu'il n'y a que pierre (composants, supports) et feu (électricité,
si l'on n'y met pas un peu d'eau (amour, sexe, échange), pas de nuées (esprit)
et tout rique de craquer, brisé, brûlé, vitrifié.
Voilà un vaste chantier pour artistes dit Ko en riant.. (Ko Nakajima, japaonais, vidéaste, ingénieur informaticien,
concepteur de "hard" -l'aniputer- pour.. artistes).

Mais le désert est là.
Qui nous pousse d'une oasis à l'autre.. C'est notre chance!
Et je sais de quoi je parle, moi l'insulaire, rajoute-t-il gourmand.

Conception grinçante du "Village Global"?.. Ou plutôt un "optimisme sans illusion" selon Adorno..

La clameur consensuelle de la transe communicationnelle résonne pourtant partout
(le mot communion serait moins barbare mais il ne convient pas vraiment, semble-t-il).

Les artistes sont convoqués comme maître de danse, voire comme chamans:
"Les artistes sont des "veilleurs technologiques" qui s'emparent des nouveaux instruments
et instaurent avec le public une nouvelle relation." (introduction d'un colloque sur l'interactivité, La Villette 88)
"Ils participent à un nouveau gulf stream invisible, à un éther numérique, ils réchauffent la planète
dans une acupuncture globale.." (Gaïa, réseau digital mondial. Linz, 89)
Alors le commun des mortels, baigné, vivifié, initié "grâce aux pouvoirs de la simulation et de l'interactivité, devient
son propre démiurge: vitalités infinies plus réelle que le réel." (Vers une culture du numérique. St Etienne, 87)

C'est (presque) la fin de l'Histoire. La parousie indéfinie.

Voilà justement l'image d'un combiné téléphonique, pendouillant au bout de son fil, abandonné.. sur grand écran,
vidéoprojetée aprés avoir été .. téléphonée en longue distance devant plusieurs centaines de spectateurs
néophytes et perplexes.
Il est vrai que seul l'intitulé de cette expérimentation "Lettres d'amour Montpellier-Brest par images téléphonées"
laissait présager ce qui m'a toujours depuis paru un excellent commentaire imprévu sur le concept même
"Art et Communication". C'était en 1982, j'étais l'un des organisteurs.

"Optimisme.."
Qui ne jubilerait pas des jeux d'une surintelligence sensible, de l'ubiquité, de l'intemporalité?
Seul l'usage de quelques drogues, ou parfois le Cinéma..
Mais le grand désert du Même est là.
"Sans illusion".

Heureusement, place à l'humanisme critique invétéré d'une charmante et vieille dame américaine
qui a introduit, à la fin des années 50, une réflexion "Art et technologies dans les enseignements artistiques"
(Art Institute of Chicago) tout en développant une pratique conjointe avec des enfants noirs de quartiers pauvres
de Chicago.
Pour Sonia Sheridan, un créateur doit pouvoir jongler d'une technologie à l'autre, rebondir en ses extrêmes,
la recherche - l'usage, qu'elles soient pointues, lourdes, simples, pauvres..
Pourquoi?
Par la nécessité pragmatique de ne pas se leurrer sur la normalité et la prérennité des liaisons
(rythmes asynchrones) entre artistes, scientifiques, ingénieurs et.. politiques..
surtout en période de conservatisme et de récession, car la morale -si..- de ce processus est que le créateur
ne peut l'éprouver seul -la dynamique collective étant l'une des conditions nécessaires de son "écho" social.

Que cette éthique de création soit un excellent vaccin contre toute idolâtrie des technologies, du nouveau,
du pouvoir, pour demeurer en leur coeur même vivant et libre, c'est certain.
Tant il me semble trés inquiétant que beaucoup des plus ardents apologues et zélateurs de "la nouvelle culture
du numérique" ont été, il n'y a pas si longtemps, les grands laudateurs et flagorneurs de "la mort de l'art"..
Les croque-morts sont de bons gérants. Les fonds de commerce du symbolique, avec leurs avantages trés matériels,
sont si nombreux à prendre en ces temps confus que..

De nouvelles amériques virtuelles avec leurs vrais cortèges funéraires de cultures lobotomisées, éradiquées..
ou peut-être la radicale impossibilité d'une vraie langue universelle.
L'aphasie du Même.
Le grand désert.

Aujourd'hui, où le regard peut tuer (d'un simple clignement, le missile..), où par procuration synthétique
il est toujours plus assisté, où sa fonction utulitariste est surdéterminée, où va donc errer le regard
indécis, amoureux, transi, esthète?

"..la beauté tout autour de moi, sur le beau chemin je suis, avec qui j'erre"
(poème anonyme navajo)

Voilà sans doute pourquoi je vais de part le monde d'une façon trés artisanale, une caméra vidéo et une chaise
dans chaque main, vers des regards, des visages, faire l'inventaire utopique de toutes ces vérités vivantes, uniques
et indivisibles.
(série "vidéoter l'humanité" présentée cet été 89 sous le titre "Citoyens 89" dans l'entrée de la Statue de la Liberté
ainsi qu'au Mucsarnok de Budapest)

"Le mouvement de la rencontre humaine est dans le visage même. Le visage est par lui-même visitation
et transcendance." (Emmanuel Lévinas, Humanisme de l'Autre Homme)

J'ai bien sûr pensé éprouver cette nécessité à l'aune d'un réseau de "vidématons" numériques par liaisons
téléphoniques RNIS et satellites. Ce réseau interactif devait permettre à chacun, sous son libre choix, "d'offrir"
son regard tout en pressentant celui de l'autre par une sorte de jeu des familles. Ce réseau devait.. car,
si cette technologie trés sophistiquée est au point, le financement de sa mise en place impliquait des usages
commerciaux encore prématurés (banques de données images et sons haute définition en réseaux à hauts débits).

Bien entendu, la jeune entreprise montpellérienne, XIS, qui développe cette technologie, ne pouvait pas financer
cette opération en fonds propres.
Bien entendu, pour illustrer mon propos, ci-avant, je suis l'un des fondateurs de XIS, (petit) actionnaire
et memebre du conseil d'administration.
Cela légitimerait alors ceci: le glissement de ma quête personnelle de regards vers son automatisation
et peut-être.. sa déréalisation.
Précisement, la vertu du contact direct qui se perdrait et qui "permet" un regard à l'image, se retrouverait,
je le crois, par une translation symbolique dans le jeu interactif de la découverte de l'autre à une échelle mondiale.

Que l'actualisation présente de ce savoir faire technologique passe, entre autres applications, dans une banque
de données musicales (l'actualité du disque) dont le principe est, ni plus ni moins, une défense et illustration
de l'esprit démocratique (l'accés de tous, producteurs, auditeurs, assuré sans exclusive d'identités et de moyens)
me rassurerait plutôt pour mes projets futurs!
Soyons précis: une mémoire numérique vivante (réinitialisable à tout moment) liée à une trés astucieuse
architecture de communication permet à tout éditeur musical connecté (affiliation du type Société des
Droits d'Auteurs) de "déposer" son nouveau catalogue ou simple titre dès sa conception, c'est du temps réel,
et à tout auditeur, à partir de bornes de consultation, bientôt de son domicile par téléphone -RNIS-,
de le consulter, l'écouter et décider ou non d'un achat (support disques, cassettes ou enregistrement digital
.. à domicile).
Ce qui est valable pour le son haute fidélité l'est bien sûr pour l'image haute définition (questions d'espacemémoire)

Le paradoxe de cette configuration est qu'elle est trop démocratique (n'importe quel tout petit producteur peut
s'y affilier) pour les multi-nationales de la musique qui travaillent sur des séries limitées de titres (le Top 50).
Pourquoi en auraient-elles besoin? Pour offrir un droit d'existence aux marginaux? Les médias et la presse
ne s'occupent quasiment que du Top 50.

"Sans illusion" sur un bouleversement des choix des auditeurs, voilà un éloge numérique et trés concret
des possibles de la création individuelle et non de la puissance des monopoles. "Optimisme.."

Oui, ceci n'est pas une plaquette promotionnelle, car j'imagine, bien entendu, dans un avenir proche, que nous
(XIS et moi-même) aurons les moyens financiers de nos désirs et projets artistiques (je peux toujours parler au
pluriel). L'ambiance de nos conseils d'administration est probablement atypique.
Quant au désert.. comme ne l'aurait pas dit "l'autre": des milliers d'oasis fleuriront..

A commencer par la maison Europe.
Je prépare avec des artistes hongrois dans le tempo du grand remue ménage actuel une liaison par images
téléphonées (ce sera cette fois plus que de l'amour: du burlesque) entre Budapest et Albi (manifestation
"Interférents " Juin 90).

Au vu des murs qui s'effondrent, les rapports Est-Ouest (politiques, horizontaux) deviendraient-ils simplement
Bas-Haut (économiques)?
Autant immédiatement plonger au coeur de la métaphore, cul haut, par un pléonasme bien visuel:
à Budapest, d'une courrée commune de la maison Europe, des artistes (acteurs, écrivains, poètes, performers,
musiciens..) interpelleront en direct (filmés par une caméra fixée au-dessus de leur tête) un public à Albi
.. au balcon.
(l'image de Budapest est vidéo-projetée au sol 3 m sous leurs pieds. Certains visages albigeois, filmés en contre
plongée, sont simultanément envoyés à Budapest. Le son est complétement simultané)

Echo de l'apostrophe traditionnelle et gouailleuse des manifestations passant dans les beaux quartiers à l'adresse
des non-manifestants calfeutrés: "Les cocus, au balcon!"? pourquoi pas? Il faut bien renouer un dialogue.
En son temps, Jean Vigo a filmé les dessous dansants des parvenus pour mieux pointer ses noirs canons cheminées
d'usines poèmes (A propos de Nice). Puisque, précisemment, aujourd'hui, nous ne devrions plus
être d'humeur guerrière..
Puisse l'interactivité, comme processus "chaud", nous ouvrir des portes et créer du sens (face contre face plutôt que
Est-Ouest ou Bas-Haut). Je ne doute pas de la vigueur et de la verdeur des Hongrois et du rire généreux
des Albigeois.

"Oasis, oasis.." chante le fils Dolto.

Ces notes ne sont que quelques commentaires et propositions de pratiques.
J'ai évoqué plus précisemment celles de Ko Nakajima et de Sonia Sheridan, hormis mon intérêt pour leur travail,
peut-être parce que l'un est considéré, au japon, comme un paria emmerdeur (il ne fait partie d'aucun clan technico-
industriel) et l'autre, hors USA, comme une douce illuminée (trop de vitalité pour une vieille dame, Mystère..).

Je conclus par un dernier haïku de ce jeune poète indien américain (Yuchi) Joe Dale Tate Nevaquaya.
Il les a conçus à partir de quelques uns des portraits vidéo que j'ai réalisés en Oklahoma. Ils sont devenus
la musique de ma dernière vidéo-variation à propos d'une réalité indienne contemporaine
"Les porteurs de Lumière".
Banalité d'un échange? Assurément.
du moins, je l'espère, un minuscule fragment d'une vraie langue universelle..

Poem for Juanita Heap of Birds
(crossing Killer)

Falling stars hold council.
In your folded hands they are unafraid
and sing in the white face of death.
Only the wind mourns at dawn.
The whippoorwill nos adieu.

Pierre Lobstein, Fort Capot, octobre 89

"Les Transinteractifs" Collection Déchiffrages, Directeur Frank Popper, Coordination Derrik de Kerckhove
"Citoyens 89" (ci-dessus) projet d'un réseau mondial de "vidéomatons" pour "Inventer 89" La Villette, juin 88
"The watcher" (ci-dessous), nouvelle respiration visuelle urbaine pour l'écran géant de la Tour Montparnasse, Paris
les étés 2000 & 2001 avec la société Norrifumi Goddar