Cet homme, dans son rocking chair, s'est balancé, impassible,
1000 fois 20 secondes par jour au Mont Parnasse,
entre deux publicités, les étés 2000 et 2001.

Un jour, une femme a composé le numéro de téléphone
inscrit sous l'écran.
Elle voulait simplement remercier cet homme
ainsi que la personne qui l'avait filmé.
"Chaque soir, lorsque je rentre chez moi, 
je regarde l'Indien.
Il m'apaise.
Merci."
 
Voilà un moment vrai
pour une vraie fiction
dont l'Indien est l'image qui appelle.


-YOU...SEE
une histoire au long cours

Archétype de l'usine à rêves 
Et à jamais barbare

Il nous regarde
ça nous regarde
Elle le regarde

C'est l'histoire d'une bascule entre monde blanc 
Et monde rouge
D'une bascule entre l'homme et la femme
Entre la réalité et le mythe
Entre la lumière et l'ombre
Entre l'anthropologie et la fiction

C'est l'histoire de la bascule de notre regard où enfin
La flamme d'Eros allume
La magie de l'image

C'est une histoire de la nature humaine

Elle est déjà écrite comme elle s'écrira en chemin...


Une image peut-elle changer des vies?
Deux sexes peuvent-ils imaginer sa magie?
C'est l'histoire de deux barbares 
qui s'illuminent au coeur de l'Empire...  
	

 

 

 

 

 

 

Médée 
        
Petite fille du Soleil, fille de la Nuit, magicienne,
elle a l'ignorance absolue du médiocre et l'impérieuse nécessité 
de franchir toujours les bornes du connu.
Elle n'a jamais perdu la  connaissance spermatique, 
celle de l'indissociabilitÈ du corps et de l'âme, de la chair et du verbe, 
du feu et de la raison. 
Elle est une femme totale, de celles qui font l'Homme 
et qui vomissent de leurs bouches les tièdes et les lâches, les petits maîtres.
Elle a sacrifié deux enfants de son ventre éjaculés par un blanc parjure.
Petite fille du Soleil, elle est une artiste au présent,
elle est une barbare au levant de l'Occident.
Elle est pour de vrai (toute ressemblance etc.. est volontaire).


Tsoya'ha (petit soleil)
     
Né d'une goutte de sang tombé du Soleil sur la Terre, il est son fils, 
l'Adam rouge de son peuple
Yu-chee. 
Mais depuis Hollywood, il est un homme-image, un bon Indien générique 
ou  l'ambigue mémoire incarnée de cette "dignité, droiture, force de caractêre, 
vaillance et indomptable esprit  d' indépendance qui avaient tant impressionné 
les premiers européens rencontrant ces hommes et femmes, jeunes et vieux, libres, 
Egaux et fraternels, au sein de leur tribu à l'économie domestique communiste" 
(Engels, l'origine de la famille).
Il est un ancien activiste du American Indian Mouvment . 
Il était au siège de  Wounded Knee.   
Il est un artiste au présent. Homme-soleil,
il est un barbare au couchant de l'Occident.
Il est pour de vrai (toute ressemblance ..) 

                                  
Sink
   
Demi-frère de Petit Soleil, il a un corps d'homme,
un esprit de femme  et ses mots sont androgynes.
Poête, il a les pensées pêcheresses et l'encre somnanbule. 
Il est rouge homme-lune. Il est celui qui appelle et parle le passé et l'avenir. 
Il est pour de vrai (toute ressemblance..).
Un choeur  mixte est parfois son écho.


Onos 
  
¬né nain, il est le compagnon surnaturel de Médée.
Sa couleur rouge atteste de sa nature divine. 
Le Soleil l'a offert à sa petite fille pour la consoler de  la trahison du blanc.
Les Yu-chee, à sa vue, si petit, si rouge, avec de si longues oreilles, stupéfaits, 
le nomment Horrabbit puisque  fruit de la fornication avec une jument de leur lapin 
lubrique, menteur et mythologique qui, à l'origine, pour eux, a volé le feu.


DS
     
Véhicule des dieux, elle respire, aspire et expire avant de s'élancer. 
Déesse blanche, décapotée, Médée est son aurige, sa magicienne. 
Elle en transporte tous les attributs:
une  très ancienne valise de cuir blanc dont sortiront des marionnettes-personnages, 
homme-soleil, homme-lune, étoiles traversières, anges de Médée avec leurs vraies ailes 
+ mille appeaux  et maquillages bénéfiques, 
offrandes d'une mémoire blanche au monde indien.



Imaginez alors cette équipée, en elle-même, déjà épopée.
Médée, rayonnante, au volant de sa DS décapotée.
Tsoya'ha, les cheveux jais au vent, hilare à ses côtés.
Onos,  impavide à l'arrière, son poitrail, sa tête, ses oreilles
bien dressées.
Sink, pour faire bonne mesure avec son voisin l'âne nain, assis sur le coffre, 
pieds dans l'habitacle, imperturbablement ailé.

Bien sûr, il faudra tout le temps de la fiction jusqu'à 
Sunset Boulevard -avant un flamboyant final- pour arriver 
à cet état de grâce burlesque.
Mais, seuls et ensemble, dès le premier instant,
Ils ne seront que sujets de toutes les attentions.

Quelques tribus de caractères seront sur leur route.
Celle des Yuchees, déportée de Géorgie en Oklahoma
par le chemin des larmes au XIXe, presque disparue mais bien renaissante  
-même sans terre- avec ses rituels 
et ses nombreux enfants.  Ils sont aujourd'hui 2.000.
Celle des Navajos qui, en symétrie, sur le plus grand territoire
Indien des USA,  l'equivalent de la Belgique à cheval sur le Nouveau Mexique, 
l'Arizona et l'Utah, avec ses mines d'uranium et ses ressources touristiques  
gérées -en partie- par un conseil tribal conciliant depuis une dizaine d'années 
modernité économique et traditions collectives,  
est une très inattendue société socialiste au coeur de l'Amérique Impériale.
Ils sont aujourd'hui 200.000.
Ils sont tous pour de vrai.  

Une vérité qui nourrira cette histoire puisqu'il n'y aura ni figurants ni décors 
mais uniquement des complicités bien inscrites dans leur contexte.
Les Yuchees célébreront, par exemple, une cérémonie pour qu'elle advienne. 


Mon approche de la réalité Indienne Américaine s'est faite depuis 15 ans  
par des relations d'amitiés et de travail 
avec des artistes  Yuchees et Navajos et avec leur peuple.
Au printemps 1988, je faisais, lors d'une première rencontre 
à Oklahoma City, le vidéo-portrait de Tsoya'ha, nom yuchee 
de Richard Ray Whitman, photographe, avec 5 autres artistes 
indiens contemporains.

Les étés 2000 et 2001, dans un spot diffusé sur le plus grand écran vidéo 
publicitaire européen au pied de la tour Mont Parnasse, Richard s'est balancé, 
énigmatique, dans un lent zoom arrière s'achevant sur une question: 
à quoi sert le lynx?
Haïku visuel, nouvelle respiration urbaine, Richard, en riant,
s'est lui-même défini comme la gardien -the watcher-  
de ce Pari(s)  qu'il aime tant  et de ses 13 millions de regards estimés 
qu'il a appelés.

Entre temps, avec Richard et Joe (Sink) Dale Tate Nevaquaya, 
son demi-frËre, poête, des banlieues Mohawk de Montréal à la Monument Valley Navajo 
en passant par leur tribu Yuchiee en Oklahoma, 
j'ai  vidéo-documenté cette amérique indienne si mythique 
-la seule invocation des noms..- 
et si invisible pour qui ne veut pas la voir par delà les clichés... 
Quitte à les retourner, ces clichés, jusqu'en suivant les traces de Buffalo Bill. 
J'ai pu, en effet, inviter Richard et Joe  en 94-95-96 à Marseille  
pour une scénographie multi-média dans un des quartiers nord. 

Ce mouvement a suscité d'autres rencontres qui nourrissent
de même ce récit.

- Celle de John Trudell, poête-chanteur, dernier leader charismatique 
de l'American Indian Mouvement dont, en 1978, lors d'une marche sur Washington,  
la femme et les trois enfants ont été brûlés vifs dans  des circonstances 
jamais élucidées (le FBI ayant clos cette affaire très vite 
puisqu'il en était probablement l'instigateur).  
John, traumatisé, a voulu se venger mais, le jour où il a réalisé 
qu'il n'était plus lui-même qu'une bête traquée,  
il a décidé de se battre uniquement par son art. 
Richard et John se sont connus à Wounded Knee en 73.
Une dizaine de poêmes de John rythmeront l'histoire.

- Celle de Larry Emerson, peintre, medecine man, conseiller économique 
au Conseil Tribal Navajo, qui milite depuis vingt ans 
pour une écologie politique où son peuple  régénérerait
ses traditions dans une bonne gestion collective des richesses 
de son sol:  charbon, pétrole, uranium et soleil + tourisme.
Engels doit se retourner de plaisir dans sa tombe... 
Si la notion  indienne de cycles va à l'encontre de son matérialisme historique, 
il y aurait une mémoire vivante du communisme générique au coeur du capitalisme 
et de son Empire... 
L'épopée traversera la grande foire et fête annuelle Navajo, début Septembre, 
à Window Rock, 
siège du Conseil Tribal car il n'est pas de meilleurs lieux et moment pour, 
dans une foule immense et totalement indienne, peindre, sans aucun romantisme, 
la tranquille  évidence de cette amérique indienne contemporaine.  


-You... See
juste une histoire 

se construit donc constamment de cette balance 
entre l'extrême présence de ces corps d'aujourd'hui dans leurs contextes les plus
réalistes et des archétypes archaïques qu'ils incarnent .. 
l'homme-soleil, l'homme-lune,  l'homme-médecine, 
tous sauvages parmi les sauvages comme notre magicienne..


Médée, enfant, dans le hasard d'une somnolence diurne,
a connu le plaisir traversée par un ardent rayon.
Depuis, le Soleil est un redoutable rival pour tout homme. 
Et comme même l'ombre de la nuit est sans oubli.


Alors, comment, aujourd'hui, un homme, porteur de lumière, 
porteur de mythes,  peut-il assumer son image qui appelle? 

 

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1. L'annonce                                                                             

Un oeil s'ouvre, immense, exorbité.                                           
Son iris, solaire et somptueux, jaune profond.
En son abîme, l'éclat d'un étrange reflet.                         
Un visage se balance doucement, 
coiffé d'un grand chapeau, ceints de longs cheveux noirs.
Cristallin, Ènigmatique, archétypal,  il sourit.
Réflexion en rocking chair d'un indien hollywoodien
dans un oeil d'or.
Et dans l'avant de son mouvement
Une voix masculine murmure "You"
Et dans l'arriËre de son mouvement
la voix "She"
râle d' un homme jouissant.
la voix  puissante "You !"
La paupière, lourde, se ferme.
cri de rage d'une femme.
la voix  "She !"
Un corps blanc  déchire cette nuit.                                     
Le dos blafard et sculptural d'un homme                              
rejeté par deux mains féminines et qui, portant         
à même la peau la mémoire de son coït                                 
pornographique, au ralenti, dans un bruit sourd,       
s'écrase sur le parquet.                                                                 
la voix "You !"
La silhouette d'une femme qui, déjà debout                              
sur sa couche, nue, appelée, happée, dessinée                   
par la caresse d'une intense luminescence mouvante, 
une caresse de l'ailleurs .                                
la voix "She."                                                     
Dans l'embrasure d'une fenêtre,                                   
elle reprend son souffle, âpre, face à l'impassible                  
visage du bel indien américain qui,                                  
d'avant en arrière,                                                          
la voix "You !"
d'arriËre en avant,
la voix  "She.."
sur son fauteuil  d'acier à bascule,
homme-image d'un écran vidéo géant suspendu 
à la façade d'une tour, tel un phare
pour des âmes en mal d'épopées,
illumine la ville. 
Le chant enjoué d'un rouge-gorge ponctué 
de curieux grincements mécaniques.
L'écran s'éteint.
Un long souffle féminin.

Paris, Montparnasse, minuit.                                                                                                                                       

Telles des fantômes,  surgissant d'un énorme            
nuage de poussiËres sombres habité de gargouilles       
diaboliques, se redressent les Twin Towers.
Le rugissement d'un avion qui s'envole.                             



2. La révélation

Le flamboiement sanglant de tout un ciel                     
au couchant.
Contemplatrices, deux silhouettes 
humaines se balancent dans leur rocking-chair.
Stridences de milliards d'insectes.
L'une soulève son chapeau et se passe une main                 
dans ses très longs cheveux : serait-elle                           
l'homme-image ?

Oklahoma-City, le lendemain                                       

Le scintillement d'une lumière blanche.
Deux phares en amande d'un véhicule ont stoppé.
Les deux veilleurs n'ont pas bronché.
Le grondement d'un chien à leurs pieds.

Dans les derniers rougeoiements de l'horizon,
Deux silhouettes quittent la voiture. 
Le mouvement de l'une n'a rien d'humain :
quatre pattes entre deux immenses oreilles 
toutes droites dressées.
Les grondements canins se sont accrus.

Dans le faisceau des phares, une femme s'avance.
A ses côtés, un âne nain.
Aboiements furieux

Vivement, les deux rocking men se lèvent                     
Dans la lumiËre                                                                           
Et, tel un écho, leur vis à vis féminin                              
s'effondre,                                                                            
Èvanouie.

Quatre faces, dans une lumière rasante, penchées     
la scrutent.                                                                                   

Celle de l'homme-image enluminée, étrangement,   
toute entière, par un  soleil levant..
Celle d'un autre indien enluminée par                          
une demi-lune.
Celle d'un âne rouge.
Celle d'un chien Dingo.

Le choeur mixte
Qui peut comprendre la Lune ?

Vivement, de sa main, elle se voile le regard pour,
écartant doucement les doigts, entrevoir à nouveau
les mêmes sollicitudes.
Les visages de l'homme-soleil et de l'homme-lune,
flottants, sourient.
Tremblants, le doigts isolent l'homme-soleil et,
brusquement, en un mouvement de ciseau,
l''occultent.
Nouvel évanouissement.

Le choeur mixte
Qui peut comprendre le Soleil ?

Encadrée par les deux phares en amande,                           
l'aura blanche de l'Indien et de la femme inanimée        
dans ses bras ne forme plus qu'une croix se dressant
dans la nuit.
Elle s'avance et s'offre jusqu'au noir.



3. La pluie d'or

L'empreinte d'un corps sur un vieux canapé défoncé          
tel un radeau échoué au milieu d'un salon :                       
une mer de papiers et d'objets amoncelés.
La nature morte d'un chaos au petit matin. 
Seuls, les grillons

Oklahoma-City, 2eme jour                                            

Couinement d'une porte
Une silhouette sombre pénètre discrètement
dans ce désastre apparent.
L'homme-image, de dos, s'immobilise devant le canapé
abandonné. 
Se baissant, il tâte légèrement, sur le velours grenat,
la marque du corps absent.

L' ombre de ses pas sur une terre ocre.                                 
Les grillons toujours plus forts                                            
L'ombre en mouvement se fond 
dans un massif de feuillage 
Arrêt.

Une petite béance de verdure.                                                    
Le glissement d'un regard.                                                                     
Dans sa frontalité abstraite,
baigné par une pluie de rayons,
voici une  Origine du monde :                                               
couché sur l'herbe, à demi-nu, 
le corps de la femme blanche,                                                            
les jambes entrouvertes, offre une toison d'or                                       
à l'ardeur du Soleil .
Ses cuisses frémissent de plaisir.
Alors, sa main se pose, pudique.
L'éclat d'un rayon sur une bague.
Eblouissement de l'homme.

La béance de verdure.
Une main brune d'homme palpe l'herbe foulée.
Son cà, dans la mémoire du pubis,
les yeux fermés, un visage dans la caresse du soleil, 
le visage humain de l'homme rouge.
                                                                                                


4. Adam

Une voix d'homme résonne, la mîme :
Il y avait une fois, là, une femme.
Quand elle alla puiser de l'eau,
sur la terre,
du sang était tombé.
Elle le vit, elle le toucha, elle le prit .
De ce sang, 
un bébé est né.
Il n'y avait personne
et ce sang était tombé.
Des flammes commencent à s'élever dans le noir.                 

Soleil était en chemin
C'est elle qui le perdit.
Et la femme le trouva.
C'est ce qu'ils disent.. ou ils disent que..
C'est la femme qui l'a trouvé qui était
Soleil. 
L'enfant était un homme rouge.
Il était le fils du Soleil.
Tsoya'ha était son nom.
Et cela fut ainsi.
Et les Yuchees sont sur Terre Mère

Des flammes dansent , virevoltantes.
Elles masquent puis révèlent, pourpre, dans la nuit,          
le visage de l'homme-image, muet.

Le choeur mixte appelle :
TSOYA'HA..

La face de l'homme pivote légèrement, il commence
à parler dans une langue gutturale.
Sa voix n'est pas celle du mythe.

Apparaissent  successivement les visages de tout 
un groupe d'indiens, hommes et femmes, assis 
autour d'un grand feu.
Et la musique du récit -non traduit- de l'Indien
n'aura que le craquement des braises et les OOOH
de l'assemblÈe comme tout commentaire.

Le narrateur s'est tu.
Les flammes deviennent lumière du matin.                               
L'Indien sourit.                                                                            
                             
Sa voix:
Je suis Tsoya'ha, fils du soleil,
Adam du peuple Yuchee
                                                                                                

5. Et l'histoire..

Le visage de la femme blanche dans la même                           
lumière matinale. 

Une voix féminine -la sienne - :
Je suis Médée,
petite fille du Soleil,
fille de la nuit,
la barbare
d'après le meurtre de mes fils,
d'après la trahison de Jason, 
ce mâle si blanc.

Elle sourit.                                                                                                       
Elle s'allonge sur le divan défoncé grenat                                 
au milieu du salon chaos où
dans les rayons d'un soleil naissant
de nombreux corps de dormeurs indiens
reposent, oiseaux épars .
Elle dort                                                                                       

Le troisième jour                                                               

Des cris d'enfants survoltés à l'extérieur.
Médée, se redressant, esquisse un geste de surprise 
à la vue de tous ces ronfleurs impavides. 
Les voix enfantines se rapprochent.
Médée, féline, enjambe quelques corps et se glisse            
vers une fenêtre pour, au travers de la vitre, tomber        
nez à museau avec son âne nain rouge.                                
Ce dernier, affublé d'une parure de plumes, 
un petit indien rigolard bien installé sur son dos, 
semble l'interroger du regard, perplexe.

Elle éclate de rire et, contournant d'autres bienheureux  
ronfleurs, sort d'une petite maison de bois blanc défraîchi 
cernée d'une pelouse brûlée devenue parking
de pick-up trucks et vieilles américaines défoncées 
dont, solitaire et incongrue, une DS, coupé décapotable,
resplendissant de toute sa blancheur.

Onos, l'âne nain rouge, entouré, paré, submergé 
par une dizaine de garçons et fillettes indiens, 
se tourne vers elle et la  salue d'un viril braiment .
Toute la marmaille, enthousiaste, l'imite.
Médée, à ses côtés, solidaire, lui caresse l'encolure.
Un enfant,  la fixant attentivement, sans un mot,
défait de son gilet une broche en forme de cercle
à quatre rayons noir, blanc, jaune et rouge
et la pose successivement sur la peau blanche, 
la robe noire, les cheveux  d'or et les lèvres vermillon
de Médée. Ses petits camarades applaudissent
l'impertinent.
Médée souriante, en signe de remerciement, prend 
ses deux mains et la broche dans les siennes, puis
entraîne tout le groupe à l'écart de la maison
sous un grand arbre .
                                                                                                 
Une  lumière du couchant nimbe les dormeurs.                 
Dans un soupir une indienne se réveille et, vivement,     
comme aux aguets, bondit vers la fenêtre où elle se fige  
à la vue d'un étrange petit théâtre de verdure.                    

Sous le grand chêne, les enfants, assis en demi-cercle,           
regardent, dans la seule musique des grillons, Onos                
qui, de son plus beau profil, est devenu castelet de                  
marionnette ;
cachée derrière lui, Médée, de ses mains agiles, fait
courir, de sa crinière à sa croupe, toute une mythologie 
en figurines magiques : comme phosphorescents 
un bélier ailé à la toison d'or se moque de  son ange 
gardien dragon, un homme-soleil  tire sa révérence à
un homme-lune.
Le son nostalgique d'un petit orgue de barbarie
Deux figurines -enfants  chutent de l'âne et, se fichent     
en terre, têtes bêches, en fils morts.                                              
Médée rejoue le drame de son histoire.

Hurlements de l'indienne                                                              
Frénétique, elle réveille tous les corps et                              
se précipite dehors.                                                                        
                                                                                               
Tous les pick-up et voitures chargés d'enfants                      
et d'adultes quittent le terre-plein sous un ciel                          
de drame ocre.
Seules, les silhouettes d'Onos, Médée, Tsoaya'ha et 
du chien Dingo restent, immobiles .

Les mains de Médée ouvre le coffre de la DS.                     
Puis une grosse valise de cuir blanc.
Elles en sortent une paire d'ailes d'ange en plumes 
d'oie blanche qu'elles offrent alors cérémonieusement
à Tsoya'ha.  Hésitant, il les manipule 
maladroitement avant, doucement, d'en coiffer 
sa tête, hilare.                                                                            
Tsoya'ha ainsi paré esquisse trois pas de danse puis              
d'un saut alerte enfourche Onos qui, dans sa surprise,          
se lance braillant au trot .                                                                 
Tsoya'ha, dont les longues jambes heurtent  le sol,            
se trouve contraint à de burlesques enjambées 
rythmées par l'affolement de son étrange parure.

Le gai aboiement du Dingo les accompagne dans cette
sarabande insolite pour soleil couchant.

Irruption du visage ébérlué d'un shériff dont                       
la voiture de patrouille vient de piler .                                         
S'éloignant, brinquebalesque silhouette, Tsoya'ha
le salue.

La lune s'est levée, immense.                                           
Vacarme des insectes.
Un oeil-cigale s'enfonce dans les herbes                
à travers quelques paysages d'avant l'humanité.
Le clapotement d'une écrevisse prenant le frais.
Un crapaud baille.
Un hibou s'étonne.
Un coyote hume la nuit.
Un lapin, de toutes ses oreilles agiles, écoute.

La main de Médée allume une bougie blanche
qu'elle lève vers le visage de Tsoya'ha jusqu'à,
de sa flamme, l'effleurer, le façonner, le sculpter
telle la fille d'un potier grec qui, de l'ombre 
de l'aimé, fit la premiËre image.
.
Celui-ci, le regard fixe, n'a pas bronché.                        
La voix susurre "You.."
Médée retire la flamme en arrière                                                                     
"She"                                                                 
Puis d'avant                                                                                                                   
"You"
en arrière                                                                                         
"She"
fait de même basculer l'ombre de sa tête qui 
se dessine sur le vieux mur de bois blanc.
 "You..
  She.".
Elle s'immobilise,                                                                      
alors l'ombre de sa main à l'index pointé caresse 
le contour de celle de Tsoya'ha.
"You..
 See..."

Un halo de lumière jaune les efface.
Une lampe à pétrole levée à hauteur de visage 
et portée par une main brune
éclaire, inquisitrice, celui de Médée. 

La voix toujours :
"Vous..
 deviez venir.."

La lampe  révèle le visage de l'homme-lune, sans lune.
La lumière se fait jour.                                                                    
Il sourit.                                                                                         

La voix :
Je suis Sink , l'homme-lune
aux pensées d'encre somnambulique
aux mots hermaphrodites.
Je suis celui qui appelle..

La lumière se fait nuit.                                                                    
Il porte à nouveau la lampe à ses yeux puis                           
d'un geste  l'invite

Sink :
Toi..
Suis moi.
You..
See me

Glissement dans la nuit de l'herbe à la suite 
de leurs  pas                                                                          
Fantômes de grenouilles bondissantes, 
Reflets de lune dans la rosée sous leurs pieds nus 
tels l'écume des vagues.
Tout un tohu-bohu de foisonnante nature humaine 
et inhumaine.      

Sink:

L'araignée en offrande
prie la lune
globulaire et obscure
sa voix fragile
gratte les arbres
Au loin                                                          
Le rêve d'empreintes de pouces             
d'un verre givré.                                       
De vieilles gorges dans les tourbillons                                 
de l'âge                                                                         
sondent l'eau.                                                                                   

Des bouts de doigts durcis                     
dans le sommeil, courbent                                           
le coquetier de lune.                                              

Des oiseaux noirs graisseux                                     
picotent l'air                                                      
avec des becs emmiellés                 
laissant des trous.                                      
                                 
Envol dans de sourds battements
de formes indistinctes.
Effroi de l'obscur.

Voix de Médée :
Je vous implore, foule
des ombres silencieuses
et vous dieux infernaux
et toi
sombre chaos
et toi

A l'horizon mouvant de l'herbe océane
une petite cabane apparaît sous la lune. 
Une bougie brille à sa fenêtre.

obscure
demeure du dieu Pluton
et vous âmes enchaînées
aux rives du Tartare
dans l'affreuse caverne 
de la mort
libérez vous de vos supplices
pour accourir à cet hymen
d'un genre nouveau.

Dans le vacillement de la lampe,                                            
deux orteils  sont sur un perron de bois .                       
L'un blanc féminin, l'autre brun masculin.

La troisième nuit, maison de Sink                 
              
Ils s'avancent.
La camera-cigale s'envole alors dans le halo
virevoltant  sur tout un alphabet visuel premier :
inventaire de couleurs, terres, pigments,  herbes,
pétales, plumes, écorces et fragments, liquides
en tous genres,
matières primordiales de signes à venir ,
de nuages et de paysages de sang et de sperme,
encres de l'artiste


Sink:
                            
Plateaux en sommeil
des fantômes écornent les antéfixes
et silencieusement
salent la mer.

Somnanbuliques encres
le sperme
pressé contre 
les ombres
pressé contre
la  fenÍtre de la nuit .

Un doigt brun tremblant caresse cet univers
                            
La chair s'annonce elle-même
main dans l'aile
aile de la langue

Et la camera- cigale dans un dernier tournoiement
s'en retourne à son herbe
que la lumiËre naissante fait verdoyer.
                            
Galets gris moussus
leurs lèvres figées
couvent dans la gourde
comme une araignée retourne au brouillard
le brouillard retourne à la terre
et la terre retourne au chant.

Le rythme de leurs pieds nus dans la rosée
croisant  coccinelles, escargots et scorpions

Médée:
Pour toi, selon l'usage de ma race,
J'ai libéré ma chevelure,
J'ai parcouru de mes pieds nus
les bois mystérieux,
j'ai fait tomber la pluie des nuages
sans eaux,
j'ai refoulé les mers jusque dans
leurs profondeurs,
et l'océan a ravalé ses puissantes vagues,
car j'ai fait plier les marées.
Le firmament dont j'ai bouleversé les lois
a vu en même temps le soleil et les étoiles.

Un orteil brun s'arrête juste devant un scarabée d'or.
Deux doigts le prennent délicatement.
Ils le déposent sur un petit triangle de perles brodées,
Pubis d'or, Soleil levant.
Et les offrent doucement à la paume blanche de Médée.
   


6. DS                                                                                       

L'aube pointe sur la calanque de la DS qui,                      
vrombissante, se soulève.

Le quatriËme jour                                                                 é
Tsoya'ha, côté passager, bascule son buste par dessus   
la portière, pour mieux observer fasciné cette magie             
Médée, au volant, sourit.
Sink bat de la main sur la carrosserie  pendant qu' Onos,
comme lui à l'arriËre, donne le rythme de ses oreilles.
Tsoya'ha, redressé, se penche vers Médée et, 
la saisissant dans un geste virtuose  la fait basculer 
vers lui pour prendre sa place de conductrice.

La DS démarre escortée par le Dingo aboyant de                  
connivence.                                                                                   

Dans le grand calme du petit matin, elle glisse dans           
une carte postale d'Amérique profonde encore endormie :  
maisons, pelouses, voitures, bannières étoilées, tout est    
bien là mais un peu défraîchi, déglingué, mité.. 
mémoire jaunie d'un âge d'or.

Tsoya'ha met une cassette son dans le lecteur du tableau
 de bord.

Une mélopée indienne traditionnelle
et la voix de Jonh Trudell :
We were 18
We were born in a middle 
of a Babylone dream
hey man, hey woman
she was a beautiful woman
he loved her full
she became his last stand
he was a cow-boy
she was an indian..

Médée a un petit rire qui se suspend à la vue 
dans le rétroviseur du gyrophare d'une voiture de police.
Tsoya'ha, impassible, s'arrête sur le bas côte, éteint
le moteur et pose ses deux mains bien en vue sur le volant. 
La DS, dans une grande expiration, s'affaisse.

Un shériff, colt en bandouliËre, gaine ouverte, arrive 
à sa hauteur : c'est l'homme de patrouille qui l'avait vu ailé.
Onos semble le dévisager avec intérêt.
Sink baille.
Perplexe l'officier s'exclame :

Nice car, Adam !
Mais quel cirque nous joues tu ?
Allez, papiers !

Stoïque, Tsoya'ha, d'un petit geste emprunté, tend 
sa main à Médée.

Les passagers de la DS n'ont pas bronché.
L'officier sort de son véhicule et revient vers eux 
papiers en main.
                             
Voix d'un commentateur à la radio :
Comme se le demande le président Bush,
pourquoi ne nous aime-t-on pas ?
ricanements de Tsoya'ha et Sink
Le journaliste Watterson écrivait en 1896
Nous sommes une grande république 
Impériale destinée à avoir une influence
déterminante sur l'humanité et à façonner
l'avenir du monde comme aucune autre
nation, y compris l'empire romain, 
ne l'a jamais fait.

L'ombre de l'officier couvre entièrement Tsoya'ha et Médée.
Sa main, avec les papiers, se tend, par dessus l'indien.
                             
Tsoya'ha:
Ôte toi de mon Soleil !

L'ombre se retire. D'une claque sur la portiËre, le policier
conclut :             

Ok, m'am, tout est en règle
Mais faîtes attention avec votre drôle
d'équipage.. ici, on n'aime pas trop les..
(temps de rÈflexion).. les.. " aliens ".

Sa main ferme la gaine de son colt. 
Il s'est retourné.

La DS démarre.                                                                                      
Vue d'oiseau de ce coeur banal de l'empire                            
                              
La voix du commentateur :
M. Zbigniew Brezinski, tout récemment :
L'objectif de l'Amérique doit être de 
maintenir nos vassaux dans un état de
dépendance, d'assurer la solidarité et la
protection de nos tributaires et de 
prévenir l'unification des barbares.

La DS s'est perdue sous les arbres.

Une guitare hawaïenne, voix de Trudell :
I tell you what happened..
                                      


7. Cérémonie                                                                      

Dans le nuit, la DS suit un pick-up, éclairant  tout
un groupe d'enfants indiens assis sur sa plate forme.

En route pour Kellyville, Oklahoma                           

La DS s'engage sur l'aire d'une station service.
Plusieurs pick-up entourés de nombreux indiens, jeunes
et vieux, y sont stationnés.
A la vue de la DS qui vient de stopper devant l'une
des pompes, c'est l'attroupement.
Tsoya'ha et Sink claquent, en riant, de nombreuses  mains
sous le regard complice de Médée.
Les enfants, fascinés par Onos, s'installent en grappe 
autour de lui.
Tsoya'ha essaie de calmer leur enthousiasme.
Quelques blancs, observent intrigués la scène à distance.
Une fois le plein fait, tous les véhicules dÈmarrent ensemble.

Faisceaux de phares déchirant l'obscurité dans 
les soubresauts d'une mauvaise piste.
Le convoi de véhicules traverse de hautes herbes.
Une forte montée.
L'arrivée, au sommet d'une colline boisée, sur une vaste clairière 
illuminée par un très grand feu en son centre.
Des dizaines de pick-up sont garés en un immense cercle
où s'imbriquent auvents de toiles et de branches, tables 
et bancs.  
C'est tout un camp très animé où chaque groupe autour
de son foyer mange.

Une longue colonne de danseurs sautillant lentement
pénètre sur le terrain de cérémonie en une grande ronde.
Autour d'un énorme tambour, huit hommes 
l' accompagnent dans la stridence de leur chant et le 
rythme de leur maillet de peaux.

Médée s'est approchée d'eux.
Certains hommes portent des chemises bariolées 
avec de grands chapeaux ornés de plumes, 
des femmes arborent d'amples robes aux couleurs vives 
et de très sonores coquillages grelots attachés aux chevilles.
Beaucoup sont simplement en T-shirts et jeans.
Tsoya'ha et Sink se sont joints au cercle.

Médée s'assied et les observe.
Onos passe devant elle escorté d'une nuée d'enfants.

Le feu  se fait plus fort dessinant les silhouettes sombres 
dansant toujours dans une même scansion lancinante.
Parfois les visages de Tsoya'ha et Sink surgissent .
Alors, à travers les flammes, le visage de ce dernier                  
s'immobilise.                                                                                    
Il dit : 
Elle souille sa face dans de splendides  brassées 
d'herbes d'hiver et des fientes d'araignées bleues
elles se nichent dans la courbe de son épaule
elle sort ses tétons au crépuscule, ils chuchotent
comme des étourneaux à l'oreille de sa lune .
Cela coule comme l'encre dans l'ombre de sa cicatrice
en bas comme les sous sols et les pouces, enfouis
dans sa chair.

Les marionnettes du bélier ailé et  du dragon s'animent
de lumières intèrieures.. Elles se mêlent aux danseurs.
Elles irradient parmi les flammes, nouveaux esprits.

C'est un tatouage de la naissance en négatif
et les voix de langues vierges comptent
ses nervures d'abaques comme des arbres qui tombent
et poumons qui implosent

Surgissent l'homme-soleil et l'homme lune..

Elle est un voyage de murmures
Dans son sang familier une rivière de bouches anciennes
avalant les chants de centaines de coeurs
tourbillon d'un arc de lumière fracassée, respirant
l'air noir d 'étoupe et de glaise, réfléchi
comme langue du ciel et grondements
d'âpres palais, éclats ouverts comme la pluie. 

Et ce ballet de corps d'ombre et de corps de lumière, léchés,
célébrés par les flammes se dissoudront dans l'or 
du grand Soleil naissant .
Les chants comme les grenouilles se taisent,
les danseurs se séparent lentement.

Onos, seul, se couche prés de Médée.
Une femme s'assied aussi à ses côtés.
(l'indienne furibonde du théâtre de marionnettes)
Elle offre son visage serein aux spectateurs.                                                       

Une voix la nomme (la sienne)
Juanita Crossig Killer

Suivent une trentaine de portraits de vieux et jeunes 
Yuchees qui chacun se présentent.

Wena Meatsake
Nena White Crow
Nita White Thunder
Morgan Mope
Acee Cutting White Head
Terrible Woman..



8. Duel                                                                                   

Médée et Tsoya'ha, cheveux au vent dans le petit matin, 
seuls, roulent sur une petite route traversant des champs 
clôturés de troncs blancs où quelques vaches se frottent.
Montrant une cassette en souriant, Médée l'engage dans 
le lecteur.
Des sifflements de bergers résonnent et se répondent.

Le cinquième jour                                                             

Les bovins semblent tendre l'oreille .
Ils rient.
Passant devant un pré où une jument et son poulain 
jouent, Tsoya'ha ralentit songeur puis arrête la DS.
Les appels des bergers se perpétuent.
Plusieurs autres chevaux s'approchent.
Tsoya'ha accoudé à la clôture siffle puissamment.
Un beau mustang s'avance jusqu'à lui.
Tsoya'ha rit et lui caresse les naseaux.
Il le guide alors jusqu'à  une barrière qu'il ouvre et, 
l'ayant fait sortir, d'un coup de rein, à cru, le monte.
Médée surprise s'exclame.
Tsoya'ha dans une exultation toute enfantine cabre          
sa monture et, après un signe à Médée, la lance                   
au triple galop dans un chemin de traverse.
Un nuage de poussière rouge les a déjà noyé.

Médée, s'emparant du volant de la DS, la fait rugir 
et monter, monter                                                                               
(enclenchement de la position tout terrain) 
tel un étalon rival.
Dans un crissement de pneus, elle est à sa poursuite .
Une violente et sourde respiration d'hommes 
à l'unisson s'élévent de la DS, hymne à la chasse.

Tsoya'ha  s'est retourné hilare,  il redouble le galop
Et s'engage alors brusquement dans des hautes herbes.

Sans hésiter, Médée, telle une conductrice de char, 
lance son cabriolet à leur suite.

Un vallon, une petite rivière.
Le cavalier la franchit dans une grande gerbe.

Médée et sa DS, indomptables, dans une énorme 
vague l'ont déjà passée.

Ecumant le mustang faiblit. Tsoya'ha l'encourage mais
L'animal se met au pas et s'arrête doucement à la croisée
de deux chemins où, solitaire, un panneau indique :
Gypsi, Oklahoma.

La DS  pile à leurs côtés dans  un flot de poussière rouge.
Le halètement barbare à son paroxysme.

Tsoya'ha, pied à terre, pose sa main sur la calanque 
boueuse de la DS en signe de respect.

Médée rayonnante, telle une héroïne excitée 
par la victoire, bondit sur le capot et, pieds nus 
sur le métal brûlant, ses bras levés, paumes 
offertes au Soleil, sa chevelure déployée,                              
entame une danse du ventre possédée.                             

Tsoya'ha, deux pas en arrière, est muet, interdit.
Le mustang la fixe aussi  maâhouillant quelques brins 
d'herbe.
Leur passivité semble redoubler l'ardeur des halètements  
mâles de MÈdÈe qui, se dénudant, ondule telle           
une déesse en transe.
Lentement, Tsoya'ha recule avec le mustang.
Ils disparaissent dans les fourrés.
Médée s'est figée.
Sifflement de la DS qui s'affaisse.                                          
Médée, lentement s'agenouille puis se couche sur                            
le capot.                                                                                                                             
L'expiration de la voiture la fait glisser.                                
Elle est tombée sur la terre rouge devant la DS                      
blanche et silencieuse.                                                                
Elles sont deux tâches blanches au coeur de ce paysage    
de nulle part.



9. Errance                                                                           

Une carte routière.                                                              
L'index de MÈdÈe suit la ligne rouge de la route 66 .
                                 
Médée :
Tulsa.. Sapulpa.. Bristow..
Ah.. la 48, oui.. mais après ?
Newgy ? Tuskegee ?
Et bien sšr, pas de Gypsi, Oklahoma !
                                 
Musique country

Nuage de poussière blanche . 
La DS quitte une piste et s'arrête devant une ferme 
délabrée où un homme est assis sous la véranda.
Médée sort de la voiture, carte à la main, et se dirige
vers un vieux blanc en salopette, pipe en bouche.
Elle le salue.         

Excusez moi, je me suis un peu perdue,
Je cherche un camp de cérémonie Yuchi.
Yuchee ? -bougonne le vieux-
Mais cela fait trËs longtemps qu'ils sont partis.
Partis ?.. -s'étonne Médée-
Mais j'étais avec eux cette nuit

Otant sa pipe, fronçant des sourcils, l'homme, lentement
lâche :                    
Well, m'am, je ne sais pas d'où vous venez
avec votre drôle de voiture et d'accent..
Mais moi je sais que depuis que je suis né ici
et qu'y est né mon pËre.. il n'y a jamais eu de
Yuchees.. Partis ! Disparus !

Et sur ces mots, abruptement, il se lève et rentre chez lui.


La DS roule sur la 66 direction Ouest.
Une série de panneaux de signalisation se succèdent.          
Chandler.                                                                                     
Ici s'est lancé  le grand rush des pionniers de 1889.
Luther.
Ici commençait l'ancien territoire de la nation Sac'N'Fox
Arcadie.
Ici commençait l'ancien territoire de la nation Kickapoo.

La DS  s'engage sur l'aire d'une station service ornée d'un 
néon " Arcadia 66 ".
Médée pénètre dans la boutique qui s'avère aussi drugstore
avec des rayonnages regorgeant de bibeloteries indiennes.
La caméra-mémoire glisse sur toute une rangée de poupées 
aux nattes noires sagement couchées sous cellophane dans 
leur boîte sarcophage.
                         
Une voix nasillarde:
Yuchee ? Vous savez. Quand je vois des
Indiens.. ils sont ..indiens.. c'est tout.
Mais vous avec votre accent vous êtes d'où ?

La DS vient de passer sous un grand indicateur vert :
Pour Oklahoma-city tournez à droite.
Le soleil est au zénith.érique indique 100°ƒ avec
99% d'humiditÈ.
Down-Town, dans la fournaise, est totalement déserte.
Seuls, entre les gratte-ciels, quelques noirs et indiens
se traînent très lentement sans but apparent.
Ruisselante, s'humectant les lèvres, l'avant bras sur le volant,
Médée a le regard vague.
                           
Quelques accords, Voix de Trudell : 
Message on the wall..
Something have to change..

La DS accélère brusquement, s'éloignant de ce centre mort.
                            
Something have to change

La DS passe très lentement devant le mémorial de l'attentat
qui a détruit un bâtiment fédéral faisant 150 morts en 1995.
                             
Un autre air de Trudell :
What happens when you are alone
But you ar'nt alone

La DS s'est garée sur l'immense parking d'un centre 
Commercial. 
Médée  marche vivement dans une galerie marchande aux décors 
rococos et à la musique sirupeuse sous les yeux
étonnés d'une population semi-éléphantesque déambulant lourdement. 
Prise d'un haut le coeur, elle sort.

Elle roule vite, le vent dans les cheveux, elle accompagne
d'un battement de sa main sur le volant l'air de Trudell.
                             
You know what you are doing
But you don't
Your soul, your tears, 
Your private journey..
What you have done you'll never
do again

Une voiture de police au loin .
Elle ralentit en grimaÁant.
Un shériff, toujours le même, la croise en la fixant
longuement. 
Elle lui fait un petit signe.
Au sommet d'un mât, un coeur rouge  de la chaîne LOVE
juste suivi de l' enseigne Family Dollar.

Etrange atmosphère de quelques rues entièrement vides, 
magasins, immeubles et maisons abandonnés 
aux devantures et fenêtres obstruées de contre-plaqués,
immédiatement suivies de prospères pelouses et
country club.
A un carrefour, un groupe de blancs, assis sur le trottoir,
harmonium et amplificateur en marche, appelle à louer
Dieu dans le crépuscule. 
Mauves du ciel et des lampadaires.

Médée porte à ses lèvres, une boîte de coca.        
Vide. 
La DS stoppe devant le néon Budweiser d'un petit bar.
Poussant les deux battants de sa porte,  Médée est
aussitôt prise d'un quinte de toux : l'atmosphère très
enfummée et sombre d'une salle où les lumières du bar 
et des tables de billard ne sont plus que halos.
Un grand silence s'est fait. Tous les regards se sonésolument
Vers le comptoir .
                             
Une voix s'exclame railleuse :
Tiens, encore une de la race
des cons dentés !

Rires lourds.
Comme si de rien n'était, Médée demande une bière au tenancier, 
immense et  inquiétant. Ce dernier, sans une expression, 
fait glisser en sa direction sur le zinc 
une bouteille et un verre qui passent devant un vieil indien 
déjà bien éméché.
Le poivrot, pîteux, interpelle Médée qui s'est saisie de 
sa commande.
                             
Hey ! M'am.. J'ai juste une petite soif
Si vous m'en payez une, j'ai pour vous
une bonne histoire !

Il agite alors un collier de grosses dents d'animaux 
qu'il porte autour du cou.
Toute la salle s'esclaffe.
Médée, amusée, fait un signe au barman.
Une bouteille glisse.
Très vif, le futur conteur s'en est aussitôt emparée.
                              
Merci ! M'am..

Il lui fait un clin d'oeil en touchant son collier.
                              
Vous savez comment je l'ai eu ?

Les rires redoublent.
MÈéée, joueuse :

C'est l'histoire, non ?
Mais j'aimerais l'essayer..

Elle a déjà tendu la main.
Interloqué, gêné, le vieil homme lentement s'en défait
Et le lui donne.
Murmures sarcastiques dans la salle .
De ses doigts, elle palpe longuement les crocs               
                                
Woaoh ! Un bien beau coyote !
Pas vrai ?
L'indien d'un ton malicieux
Heu.. non.. M'am..  C'est
au contraire le Coyote qui..

Les gloussements qui ont repris s'interrompent 
brusquement. 
Médée vient de placer le collier ý la hauteur de son sexe.
                                
Allons, cela fait bien longtemps
que les poules n'ont plus de dents.

Toute l'assistance est bouche bée                                      
Pris d'un tremblement, l'indien lève sa paume 
et la claque sur celle de Médée qui a bien anticipé.                
Tout le bar hurle de rire.                                                                    

Les phares de la DS illuminent la façade de la maison
de Tsoya'ha plongée dans le noir.
Onos et le Dingo, sagement, l'attendaient..



10. Chair des Dieux

Le salon chaos avec son divan radeau où, sous une lampe allumée, 
Médée dort abandonnée comme, à ses pieds, l'âne et le chien.
Des phares. Un moteur qui s'éteind.
La porte grince, une silhouette à chapeau s'avance. . 

La DS roule dans la nuit. Tsoya'ha au volant, Médée            
 à ses côtés, Sink, Onos et le Dingo derrière.
                         
Musique de Trudell :
Why why why ?
This happening to her
She is not guilty
She needs to bloom
Oh Lord oh Jesus
What is she doing
to do it now ?

Les phares dans les trous d'un chemin défoncé.
Un mur d'herbes jaunes, immense.

A l'intérieur d'une sorte d'igloo fait de peaux et de               
branchages -un sweat lodge- , dans une vapeur dense, 
en nage, Médée, Tsoya'ha et Sink en compagnie de trois
autres indiens, halètent.
L'un des hommes jette une louche  d'eau sur un foyer
de braises ardentes . Un nuage les absorbe.  
Ils sont en T-shirts, ruisselants.
Leurs respirations sont lourdes, sifflantes.
Les hommes psalmodient de leur voix guturale, 
doucement.
Médée, dans une suffocation, s'agrippe au bras de Tsoya'ha
en le pinçant jusqu'au sang .
Il la saisit à plein corps et, la soulevant, s'extrait violemment
du lodge .
Respirant profondément,  Tsoya'ha tient Médée               
dans ses bras, debout sous la lune, le regard vers 
le lointain.
Médée, le souffle régulier, apaisée, le contemple 
en silence.

Seuls, les craquements d'un grand feu et les jappements
de quelques coyotes.
Dans une ravine ocre, ils sont une dizaine assis en cercle
autour du foyer.
Ils se passent un pot de terre cuite où, tour à tour, ils
plongent une louche qu'ils portent à leurs lèvres : le peyotl.
Chaque gorgée arrache une grimace rougeoyante .
Des éclairs dessinent le ciel.
Onos passe.
L'un d'entre eux se lève précipitamment.
Spasmes  de vomissements.
Leurs corps deviennent des silhouettes qui s'allongent, 
se déforment .
Les marionnettes homme-soleil et homme-lune, telles
de vives lucioles se réveillent.
L'homme-soleil semble prendre la direction des flammes,
les faisant danser du bout de ses doigts. 
L'homme-lune semble commander aux ombres qu'il
manie, forme ou dissout, à sa guise. 
Chorégraphie de lumières et d'ombres qui se jouent les unes 
des autres, illogiques, diaboliques  dans une arche pleine
de créatures improbables.
  
Voix de Sink:
Elle est géniale et pourpre dans la mort
et imite de ses mains de fumée et d'os en poudre
et joue la caillot contre la montre.
Cligne de sa paupière de chaise à bascule, 
poussière grinçante
et lave la blanche racine amère, emmêlée
autour de son poignet parfumé de crasses moites
  
Le visage de Tsoya'ha enluminé d'un soleil jaune se lève.
Celui de Sink en demi-lune le suit.
Alors, la face d'une  indienne surgit illuminée d'un soleil 
de sang,  c'est la furibonde, Juanita Crossing Killer, 
la femme-Soleil.

Cette grave trinité,  telle un songe, s'estompe.
Les fantômes d'Onos et de nombreux enfants passent et 
repassent dans une sarabande incessante.
   
Elle se rappelle son enfance, marchant
à reculons sur des cercueils d'ardoises grises 
dans un hiver lointain
et les muqueuses en écharpe au bout des doigts
dans une ombre antique .
Quel était le nom du premier qui tomba ?
Etait-ce " calamar de nuit " ou " coquillage en rêve " ?

Un retentissant braiment d'Onos dissipe soudainement
toutes ces nuÈés. 
Sous un immense ciel turquoise, sur une immense terre ocre,
telles des figurines de Malevitch,  les silhouettes d'Onos trottinant  
et d'une foule d'enfants, virevoltants, le suivant, 
s'avancent inexorablement vers une immense cicatrice sombre .

Elle est souvent 
un canyon qui pleure et coupe l'oeil
et laisse une blessure rouge, profonde comme une viande     
tranchée
muscle mis à nu et collines sèches, couvertes
de côtes de chevaux, sauge pâle et bleue
le ciel est couché sur le ventre et regarde

L'âne chante de tous ses braiments.
Les enfants, en farandole, ne se détachent pas de lui.
La caméra volante s'approche ainsi que la cicatrice qui s'avère
faille, précipice. 
Onos, comme les petits indiens, de plus en plus allègres,
vont droit au précipice.

Son corps d'eau en globes noircis
Et saules, poussières de gousses prés de la barrière geignarde
où peaux et plumes deviennent fétides
avec les vents bouillants, avec l'éther

Une bouche, énorme, ouverte, hurle                               
Voix de Médée
NON ! ONOS ! NON !

Dix Èclairs simultanés incendient un paysage où tout s'est figé.
Tout vire au blanc.

Une libellule bleue s'échappe de sa bouche 
et des abeilles collent son oreille olivesque 

La main de Tsoya'ha serre très fort le poignet de Médée
en signe de reconnaissance.
                                                          
Tsoya'ha se redresse, Médée dort, sereine, sur de l'herbe.         
Tsoya'ha la recouvre alors très délicatement d'une très
étrange peau : une peau de DS..   



11. Marcheurs de beauté                                                    

Un horizon parfaitement plat dans la lumière du levant
où sept Cadillacs plantées à la verticale telles des jouets 
lâchés par une main divine facétieuse, attendent, 
monolithes  déjà rouillés, leur fin d'après la chute.

Le sixième jour, Bushland, Texas,                                          

Dans cette épure géométrique,                                           
Une station service où la DS est arrêtee.                             
Tsoya'ha délaisse un poste de téléphone public.                       
Médée est au volant, Onos à l'arrière.
Tsoya'ha monte dans la voiture et tend à Médée 
une photo.
Celle de deux adolescents indiens souriants.
                      
Tsoya'ha:
Mes fils.. En prison depuis plusieurs mois
pour une sale histoire..
Un de leurs copains blancs, armé,
a tué sous leurs yeux.
On les accuse de complicité.
Je dois trouver de l'argent pour le procés
En route !

La DS s'engage sur l'interstate 40 direction ouest.
Elle n'est plus qu'un point blanc sur une ligne noire 
tranchant un monochrome jaune chaume sous un 
bleu  aussi uniforme.
                      
Psalmodie indienne + voix de Trudell
Like an electric indian
doing his  John Wayne..

Quelques éclairs au loin sur des montagnes.
La beauté sauvage d'un paysage de roches et de maquis.
Un carrefour signale une route pour déchets nucléaires
strictement interdite d'accés.  

La DS passe sous un panneau vert : 
Santa Fe, Nouveau Mexique.
                       
Musique de Trudell :
Rich man's war, industrial street
Free man society, nuclear man
Central america bleeding and Palestine
The poors starving for food for real
Riche man's war, attacking you tomorrow
Human's lies
Industrial priest..

La DS se gare devant un hangar industriel où
trainent quelques étallique, tel une enseigne ironique,
au sommet d'un immense poteau.
Une  sorte de tank uniquement constitué de gros seins
en acier.
Tsoya'ha s'est déjà engagé dans le bâtiment ouvert
Médée, intriguée, va tâter le curieux véhicule blindé.
Un homme en train de souder s'interrompt et, levant
la visière de son masque,  -c'est un indien-
ravi s'avance vers son visiteur  à qui il assène
une grande clésente Médée  u sculpteur qui, 
à la vue d'Onos, s'esclaffe
                      
Mais c'est une de mes oeuvres !.. Vivante !

Ils rient.
Pendant que les deux hommes entament une 
conversation , Médée, curieuse,  s'installe dans 
un énorme rocking chair de fer orné de petits 
avions découpés.
Tsoya'ha et l'indien se sont rapprochés.
Médée invite tsoya'ha à y prendre place.
Il commence à se balancer impavide.
En chair et en acier, il est l'image de l'écran de
la tour Montparnasse dans sa balance inexorable.
                       
L'indien:
Tsoyaha a toujours aimé 
ma chaise nucléaire..


un oeil-aigle dans une aspiration verticale le long
d'une paroi de roche noire.                                              
Jusqu'à son sommet acéré.                                                    
Une pyramide de lave figée au milieu d'un désert                     
plat et nu.                                                                                              
Tse Be Dah, Rock with wings, territoire navajo, NM  

La DS, minuscule, passe à son pied.
                        
Musique de Trudell ;
No more than neon flash
We have to face what we realy are                      
In some point we have no choice
Distant stars, distant lights
In real world we are human being
In shadow of real world 
We were being human
              
La DS s'arrÍêe devant une maison isolee.
Le pic est toujours à l'horizon.                                         
Tsoya'ha descend. Une femme apparaît à la porte.
Ils se saluent, échangent quelques mots.
Tsoya'ha revient.
La DS dÈmarre.

Tsoya'ha conduit. Médée se retourne, ayant contemplé
le rocher ailé qui s'éloigne derriËre eux 
entre les oreilles d'Onos.

Ttsoya'ha :
Nous trouverons Larry
au conseil tribal navajo à Window Rock..
L'un de ses fils est emprisonné
avec les miens.. 
Peut-être la nation navajo 
nous aidera-t-elle..

Le paysage est toujours aussi désertique et majestueux
                          
Voix de Trudell :
Distant thunder, distant cloud
A patient rain
What we take is hard to do
What we do is hard to take
Dreaming some kind of life
We said it could be different
But it was'nt

La DS a ralenti. Tsoya'ha interrompt la cassette.
Il s'arrête à la haête,  une bouteille de vin vide à la main.
Tsoya'ha descend, s'accroupit à ses côtés
                            
Tsoya'ha :
Hey brother.. Are you OK ?

L'autre maugrée en navajo
Médée aide alors Tsoya'ha à l'installer sur la banquette
avec Onos.
L'indien à demi assoupi se laisse faire.

La DS est repartie.
Soudain le navajo s'agite et hurle effrayé
                             
What 's that ? ! !

Onos vient de lui lécher le visage .
Tsoya'ha et Médée éclatent de rire .   
                             
Tsoya'ha :
Don't worry, brother !
Tu as juste un peu trop bu !
La voix de Trudell :
Something start good and will be bad
Something start bad and stay bad
Living a liar or not living at all..

La DS  pénètre dans une petite cité de bâtiments
préfabriqués:
LukachukaÔ, mine d'uranium.
Ils stoppent devant une façade où s'étale immense
Union des mineurs Navajo
Sur la vitrine, une affiche est placardée avec pour titre :
Droits des contaminés
Le navajo les remercie, tape en rigolant sur l'encolure 
d'Onos 
Dis donc ! Quelle cuite !
Il rentre dans le local.

La DS roule toujours avec la beauté -expression navajo-
                              
Tsoya'ha :
Le vin pas cher.. Quand j'avais 15 ans
Avec des copains on allait tous les Samedi soirs boire en cachette
à la sortie de Bristow dans un petit canyon

Regard interrogatif de Médée
Il sourit, ironique
                             
Oh même les petits indiens.. peuvent s'emmerder..
 
Un cheval au triple galop se dirige vers eux dans 
un grand nuage de poussière rouge .
Il est monté par deux gamins hilares.
La DS a ralenti, elle s'arrête.
Les deux petits navajos, trËs excités par la DS et Onos,
sont déjà en train de palper ce dernier .
Leur mustang, blanc tacheté de brun, semble dubitatif 
devant ce cousin rouge.
Tsoya'ha caresse son encolure et d'un coup de rein 
l'enfourche à cru.
Le mustang se cabre. Les enfants rient.
Tsoya'ha lui fait faire une volte-face.
Tsoya'ha tend sa main. Médée l'a déjà empoigné.
Elle se retrouve en amazone agrippée à lui.
Ils sont au loin, abandonnant  la DS, Onos 
et ses gardiens.

L'oeil-aigle descend lentement sur deux pitons  
de roche écarlate dans un ciel cobalt.             
Médée et Tsoya'ha sont dans une nacelle                     
de grande roue qui rejoint doucement le tourbillon
mécanique de dizaines d'attractions foraines.
Ils mettent alors le pied à terre et s'enfoncent 
au milieu d'une énorme foule  totalement indienne
Les cris des corps virevoltant dans les airs
se mêlent aux battements sourds et chants stridents
des danses traditionnelles, aux  haut-parleurs 
nasillards commentant les rodéos et les différents
concours de savoir faire en tous genres : bijoux,
tapis, pains fris..  
Tout le peuple navajo dans ses plus beaux atours,
cous, poitrines, poignets ornés d'énormes colliers
et bracelets de turquoises et d'argent,  est r"uni
pour sa grande foire annuelle.

Tsoya'ha et Médée marchent vers  une élégante
construction en forme de hogan -petite maison 
traditionnelle navajo- qui abrite le Conseil Tribal.
L'horizon n'est qu'une  paroi de roche  rouge 
trouée en son milieu d'une énorme ouverture 
circulaire où l'azur resplendit : Window Rock. 

Tout un attroupement dont les oreilles d'Onos 
dépassent s'est fait autour de la DS stationnée 
devant l'office. 
Médée prenant par l'avant-bras Tsoya'ha :
                       
Pendant que tu vas voir Larry
Je vais leur proposer une bonne surprise..

Médée fend la foule et s'installe aux cotés d'Onos
Elle  fait coulisser verticalement un écran DVD
et l'allume. AAAh de l'assistance devant ce gadget.
Tsoy'ha d'un pouce levé la félicite en franchissant 
le perron du Conseil.

Alain Cuny, une plume dans une perruque de travers  
et Serge Reggiani juste vêtu d'un cache sexe, roulent 
leurs yeux de faux indiens devant un général Custer
d'opérette. 
Silence du public incrédule.
Reggiani, grotesque, racle de sa main une écuelle 
pleine d'une espéce de pâtÈe et s'en barbouille le visage.
Les premiers rires fusent.
Coups de feu.
Catherine Deneuve vient de recevoir une flèche 
au travers de son cou si fin et blanc.  Un Oh 
très maniéré ponctue sa mort supposée.
Enorme rigolade. La foule se tord. 
Touche pas à la femme blanche, Marco Ferreri 		
									




                   

    
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12. Sunset final                                                                    



Un cavalier indien aux longs cheveux noirs et                 
à la chemise blanche bouffante brandit                                 
un tomahawk                                                                                    
en hurlant.                                                                               
L'image se fige.
Tsoya'ha plus jeune, semble-t-il.
Une grande main cuivrée éteint l'écran.
Tsoya'ha installé à côté d'Onos lui tapote le museau.       
La DS file, Médée seule devant,  sur une auto-route
à six voies .
                        
Tsoya'ha à Onos en sifflotant:
J'étais pas mal en méchant sauvage, non?

Un panneau: Hollywood, next right. 

L'oeil d'Onos glisse                                                        
sur les étoiles de stars incrustées sur le trottoir                     
de Sunset Bd . Foule de pieds.                                                  
Côté droit, côté gauche, il caresse tous ces noms
de rêves et sur qui tous marchent allègrement.
Baskets, sandales, tongues..
          
Voix de Sink: 
Elle fléchit sa cheville, où de petits os
chantent un hymne tombal de visages enragés
écrasés contre le jour, laissant
de mousseux morceau d'écume. Elle est ensevelie
avec des braises rugissante dans sa bouche
elles sont étoiles et doigts, ondulent
à travers les chevelures des arbres, et lissent
les cicatrices et blessures avec une flèche
de tissu soyeux

De tous ces pieds fouleurs de dieux morts, 
la camÈra-oeil-Onos est remontée sur des corps 
où, alors, ô surprise, sont vissées des têtes ébahies.
Oui, elles le regardent toutes, lui, le cadeau de Zeus
Oui,  elles n'en reviennent pas de sa monture DS
et de ses compagnons sauvages.
Oui, dans l'artère même de l'usine à rêve,
Au coeur de l'Empire,
Ils n'ont d'yeux que pour eux, les envoyés des dieux,
animaux trop humains, humains trop animés,
les barbares. 
           
Elle se souvient le Soleil et les temps
où elle a chu de son centre de carbone
Etait-elle un diamant éveillÈ en feu
et bandé de langues
de pluie mordante, exhumé comme corbeau
rappelant leur noir graisseux

Dans un violent crissement de pneus,
une voiture vient de piler à un croisement.                          
Le visage de son conducteur les fixe, ahuri.                            
comme des lieux de sang 
(quelqu'un gît se décomposant
dans le champ, empoisonnÈ sans nous)

Un second bruit de freins.
Puis un troisiËme.
Un choc, un fracas de tôles.
Les visages défilent maintenant très vite.
La DS a accéléré. Sunset Bd est devenu sinueux.                   
Un autre croisement, deux pik-up se rentrent dedans.      
Ils sont l'attraction dÈsolation.
Ils sont la sauvage anarchie qui dévale le boulevard 
de l'artifice.
Ils en sont les vrais Soleils.

Derrière eux, au dernier croisement, plusieurs 
carcasses sont en feu.
Le vacarme des chocs s'amplifie.
Passant un rond-point, ils s'arrêtent  alors à
une station service aux néons crépitantsÝ: Last Sunset. 
Son pompiste, un géant indien ýàla salopette trop petite,
s'est déjà précipité sur eux, enthousiaste au spectacle
des voitures qui, attirées immanquablement comme 
des mouches par l'attrape mouches, bondissant 
les unes sur les autres,  commencent à s'amonceler
en un tas brillant. 
A  peine les a-t-il servi,  les a-t-il félicité 
en  claquant vigoureusement la croupe de la DS,
que, son tuyau toujours en main,
Il grimpe comme un fou sur la pompe, sort son briquet, 
fait jaillir l'essence et,
dans une immense et splendide éjaculation de feu ,
incendie le chaos de ferrailles fraîches.
La DS s'est déjà éloignée, droit vers un immense 
Soleil rouge couchant;

Voix de Sink:
Elle ne peut revenir
Ni rêves sur des mers éveillÈes
Ni pouvoir régurgiter les os de ses enfants
comme elle le désire, bercer le fémur,
la scapula, la colonne vertébrale tordue qui riait
tant elle sent leur douceur sur
le bout de ses doigts et détourne son visage de nous 
Et nous ne sommes plus
           
Voix de Médée:
C'est pour toi que de ma main sanglante sont
tisses ces guirlandes entrelaces
C'est pour toi que sur ce gazon sanglant j'offre
un sacrifice solennel, pour toi qu'une torche 
arrache au coeur d'un bûcher funéraire a fait
briller ces feux nocturnes
 
A travers les flammes de l'immense brasier,
Les silhouettes, cheveux au vent, de Médée 
et Tsoya'ha,  oreilles en sémaphore, d'Onos  
et de leur coursier DS 
s'éloignent vers leur Soleil rouge,
vers leur origine à tous,
la femme-Soleil.

Ils s'y sont évaporés.
La femme-Soleil est devenue femme-Iris.
Iris de sang.
Où, en son abîme noir, un reflet se balance                     
en chantant.                                                                         
Un rouge-gorge si rouge dans le balancement 
de sa cage.                                                                              
Un rouge-gorge magique,
Un rouge-gorge magique et mécanique                          
à qui il faudrait juste un petit peu d'huile.  


Epilogue:                                                                                                    
                                        
Chant du rouge-gorge

Le Peuple Yuchee, comme toutes ses tribus soeurs, 
Peuple millénaire, a été déporté de Géorgie en Oklahoma 
par le chemin des larmes où la moitié d'entre eux moururent
en 1839. 
Il lui faut aujourd'hui toujours se battre:
pour sa reconnaissance officielle comme peuple autonome,
pour sa langue, unique, qui disparaît,
pour ses lieux de cérémonies,
pour être soi-même, libre au coeur de l'Amérique.
Ils sont aujourd'hui 2.000, 
fiers d'être Yuchees
comme les 200.000 Navajos
et tous leurs frères et soeurs Indiens au coeur de l'Empire.